Le poil féminin : se conformer ou se confronter

Le poil féminin laisse rarement de marbre. Sale, négligé, et inesthétique, militant, féministe et provocateur… Aussi trivial que puisse être ce sujet, c’est un réel fait de société tant il contraint les personnes concernées à prendre une décision : s’épiler, ou pas.


Dans les deux cas, c’est se conformer ou se confronter. Nombre de femmes n’oseraient pas sortir de chez elles en jupe sans être épilées, et préféreraient porter un pantalon même s’il fait trop chaud. Un rendez-vous galant imprévu peut être annulé en cas de pilosité pubienne non “contrôlée”. Candidater pour un travail en contact avec du public peut être mis à mal si on ne se conforme pas aux normes du glabre. Le poil n’est donc pas un sujet mineur, ses impacts sociétaux sont nombreux.

Les poils, tous les poils ?

Il y a les poils socialement tolérés, et les autres. Les poils aux bras semblent avoir échappé aux diktats. Même si un nombre non négligeable de femmes ôtent ces poils-ci, il est rare que ces derniers génèrent insultes et remarques. Ils sont socialement tolérés. Les poils sous les aisselles ont, quant à eux, une dimension plus militante, sont devenus un symbole du féminisme. Au-delà des qualificatifs de sale et inesthétique, ils témoignent d’une revendication identitaire. Les poils aux jambes, quant à eux, sont encore mal perçus, ils n’ont pas cette symbolique militante qui leur colle à la peau (même s’ils peuvent l’être), ils cassent la vision fantasmée des longues jambes glabres de l’idéal féminin. Enfin, les poils pubiens sont jugés particulièrement sexuels et provocateurs s’ils dépassent du maillot de bain, ridicules s’ils débordent de la lingerie, et vus comme une négligence dans l’intimité. On peut imaginer que l’influence de l’industrie pornographique est passée par là : le poil empêchant de “tout voir” a vite été relégué au rang d’indésirable, et le glabre est devenu la mode, puis la norme.

Le poil : un enjeu marketing

Pour la rédaction de leur livre “Parlons Poil : le corps des femmes sous contrôle”, les journalistes Juliette Lenrouilly et Léa Taieb ont interrogé 1700 femmes sur leur rapport à la pilosité. Elles en ont tiré quelques chiffres qui, bien que non scientifiques, peuvent donner une idée du phénomène. En moyenne, une femme passerait 12 heures par an à s’épiler, soit 700 heures dans une vie. Elle dépenserait 240€ par an, soit 13 000€ pour épiler ses poils dans sa vie (si on considère que l’épilation est un sujet durant 55 ans environ). Les marques ont donc tout intérêt à ce que le poil soit tabou (tellement tabou que même les publicités pour rasoirs ne montrent pas de poils), car le business du poil est rentable. Rasoirs jetables, rasoirs électriques, crèmes dépilatoires, institut de beauté et esthéticiennes, épilation laser… Une rentabilité qui dépasse les frontières du poil féminin : le poil masculin commence peu à peu à devenir un enjeu marketing, lui aussi.

Poil masculin vs. poil féminin

Pourquoi le poil masculin est-il viril, et le poil féminin sale ? Pourquoi les poils aux aisselles chez les hommes est un non-sujet, alors que chez les femmes, il est la preuve d’un manque d’hygiène ? Le corps est-il si différent pour que l’hygiénisme soit à deux niveaux ? Le poil interroge donc l’image que l’on se fait des genres : l’homme est viril, proche de l’animal, la femme est douce, éternelle enfant, et passe du temps aux soins du corps (le sien, et celui des autres). Inversez les rôles et la confusion apparaît. Un homme qui s’épile est [insérez ici une insulte homophobe de votre choix] et ne mérite pas son statut d’Homme puissant. Une femme qui ne se rase pas sort du rang qui lui est assigné (celui d’être disposée à plaire), elle effraye par son indépendance, ne se conforme pas au patriarcat. C’est comme si les codes de l’un entraient dans le monde de l’autre, et créaient une confusion intolérable : une femme masculine et un homme féminin.
Heureusement, les mentalités évoluent, et le poil féminin deviendrait presque une mode. La presse s’en empare, en parle, lance le débat, de plus en plus de femmes osent le naturel… à leurs risques et périls.

Le poil au quotidien : un discrimination “pilophobe” ?

Remarques durant les repas de famille, harcèlement scolaire, insultes sur les réseaux sociaux, regards dégoûtés dans la rue ou les transports… le poil (féminin, toujours) est discriminé au quotidien, voire sévèrement réprimé au travail.


J’ai commencé à m’épiler car les garçons au collège se moquaient beaucoup des filles poilues et je n’osais plus porter de vêtements courts” (Maya).

Souvent, ce sont les membres de ma famille qui me font le plus de remarques sur mes poils. Ma grand-mère me dit souvent “Prochaine étape : tu arrêtes de te laver”, mon père me précise “En tout cas, je préfère les femmes qui s’épilent”, tandis que mon oncle s’amuse à montrer ses jambes d’homme poilu aux repas pour “m’imiter”.” (Agnès, 24 ans)

Chaque soir d’été, quand je porte une robe, les regards dans le métro et dans la rue font partie de mon quotidien. Chaque matin en choisissant mes habits, je me pose la question : ai-je envie d’affronter ces regards-remarques ou plutôt d’enfiler un jean pour être invisible ?” (Dina, 27 ans)*

Les témoignages ne manquent pas. Le poil serait un moyen de contrôler le corps des femmes, celles-ci sont tenues de garder leur attention sur leur corps, de le rendre beau et désirable, qu’elles le veuillent ou non. Si elles ne le veulent pas, l’assumer est un acte militant au quotidien, une charge mentale. Alors, s’épiler ou ne pas s’épiler ? La vraie liberté serait simplement de pouvoir avoir le choix, et que ce choix n’implique aucune réaction, n’ait aucun enjeu. D’ici là, le poil féminin continuera à être politique.


Pour aller plus loin :

*Tous les témoignages et chiffres sont tirés de l’ouvrage “Parlons Poil ! Le corps des femmes sous
contrôle”, de Juliette Lenrouilly et Léa Taieb, éditions Massot.

J‘ai rédigé cet article dans le cadre de mon engagement auprès de l’association Epsylon, article à retrouver sur leur site internet.