La photo d’identité : celle qui nous représente… et pas du tout à la fois

La photo d’identité est LE passage obligé. C’est la confrontation obligatoire avec l’appareil photo (ou le photomaton), celle que l’on redoute parce qu’il est rare de s’y trouver beau/belle. Et pour cause : interdiction de sourire, visage bien dégagé, lumière peu flatteuse, vous connaissez le topo.

Mais cette question m’intrigue : pourquoi, sur ce document officiel censé être LA représentation de nous-même, sommes-nous si nombreux·ses à ne pas nous y reconnaître ?

Pourquoi on y est tous moches (pardon mais faut dire ce qui est !)

« On dirait que je suis sortie de prison et que je fais 20kg de plus. J’en ai honte« . « Je me trouve hideuse, ça ne me ressemble pas du tout, limite c’est pas moi« . « Moi j’aime ma tête de tueuse !« . « J’ai un regard de poisson mort« . « On dirait que je viens de faire 10 ans de taule et que je vais récidiver« .

Quand j’ai mené ma petite enquête sur le rapport des gens à leur photo d’identité, rares étaient les personnes à l’apprécier (il y en avait quand même quelques un·es). Le parallèle avec l’imaginaire de la prison est même très fréquent ! Ainsi qu’une grande incompréhension face à cet exercice redoutable.

On va être honnête, ce n’est pas un exercice digne d’une expérience self-love. Cet air neutre là, celui qui nous fait dire que nous avons l’impression de sortir de prison, qui nous rend si peu aimable, oui cet air-là, est censé être celui qui nous représente ? Au quotidien nous sommes animé·es d’une multitude d’émotions et de micro-expressions qui viennent impacter les muscles de notre visage et lui donner vie. Ces micro-expressions viennent dire à l’autre ce que nous ressentons (un peu trop parfois, mais passons). Le visage neutre est rarement celui que nous arborons lors de nos interactions sociales. Cette tête neutre sur notre photo d’identité, finalement, ce n’est pas vraiment nous.

Pourquoi le but de la photo d’identité n’est pas de “nous ressembler”

Mais l’administration n’en a que faire de nos états d’âmes, loin d’elle un intérêt quelconque pour fortifier notre estime de nous-même.

En réalité, ce visage dégagé, neutre, sans fioriture, a pour objectif d’être reconnu par un système de reconnaissance faciale. Et un sourire, même infime, viendrait perturber l’intelligence artificielle chargée de nous reconnaître, car en bougeant les muscles du visage, la structure des yeux et du nez notamment, en serait modifiée.

C’est l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (ICAO) qui en est à l’origine : « les poses et expressions sont connues pour fortement affecter les performances des systèmes de reconnaissances faciales automatisés, l’expression doit être neutre et sans sourire, avec les deux yeux ouverts et la bouche fermée » (source)

Voilà, votre photo d’identité n’est pas faite pour que l’humain vous reconnaisse, mais pour que ce soit la machine qui puisse le faire, tout simplement. (Et il semblerait que nos émotions puissent perturber une machine, tiens c’est un scénario de SF intéressant… Bon ce n’est pas là le sujet.)

Cette photo qui va nous poursuivre pendant 10 ans

Une autre raison qui puisse nous troubler dans notre rapport à notre photo d’identité, outre le fait de ne pas forcément se reconnaître, est qu’elle nous oblige à prendre conscience du temps qui passe. Le renouvellement de nos papiers, c’est tous les 10 ans. Et 10 ans, c’est long. En 10 ans, un visage, ça évolue beaucoup. Pour le permis de conduire c’est pire encore, car il y a des chances pour que ce soit un document que vous n’ayez pas besoin de renouveler : ainsi si comme moi vous avez eu votre permis à 18 ans, toute votre vie ce sera une photo de vous dans la passion de l’adolescence, avec votre visage enfantin et votre style baba-cool, qui va vous suivre jusqu’à… toujours, en fait.

Comme n’importe quelle photo, la photo d’identité nous fige à un instant T, mais à la différence des autres photos que nous pouvons cacher dans une commode ou dans un album, la photo d’identité nous poursuit tous les jours, bien gentiment dans notre portefeuille, nous rappelant à quel point on change.

En rire

Je ne peux pas finir cet article sans vous montrer ma première photo d’identité. Celle qui me rappelle la douce époque où une vieille dame m’a dit que « j’étais bien maigrichon pour un petit garçon » (on passe bien sûr sur le sexisme de la remarque). Ah, le temps béni de la coupe au bol. Remarquons également que j’ai eu le droit de sourire, mais que ça n’a pas vraiment apporté de la joliesse à cette photo. Jusqu’à mes 20 ans j’ai arboré fièrement cette photo sur ma carte d’identité, et le mieux que je pouvais faire c’était d’en rire. Je gagnais tous les concours de « qui a la photo d’identité la plus moche » à l’école. Ça a même été ma photo de profil Facebook pendant quelque temps. L’avantage des photos d’identité, c’est qu’au moins on est tous et toutes à la même enseigne !

Magnifique.

Alors désacralisons cette photo tant haï. Essayons de prendre le point de vue d’une machine qui n’y voit qu’une succession de calculs, d’écartement des yeux, de distance nez-bouche. Hé, après tout c’est une façon aussi de se regarder différemment, non ?